Fin janvier 1935, une habitante du village d’Inval-Boiron dans la Somme fit une découverte insolite dans un champ : des lingots d’or ! Un trésor tombé d’un avion se rendant en Angleterre quelques jours plus tôt. Une histoire suivie par toute la presse française de l’époque.
“Oh my god !” Ces mots, on imagine John Potbury Kirton les prononcer ce samedi 26 janvier 1935 sur le tarmac de l’aéroport de Croydon, dans la banlieue sud de Londres. La soute de son avion est grande ouverte, le plancher de l’appareil est défoncé et toute la cargaison a disparu. Or, Kirton sait qu’il ne transportait pas uniquement les bagages de ses deux passagers MM. Turtle et Wulstendfeld : il a perdu huit lingots d’or !
Très vite, les policemen de l’Essex, du Kent et de l’East-Sussex lancent des recherches “entre les côtes de la Manche et l’aéroport de Croydon”, relate un journaliste de L’Homme libre, daté du 29 janvier. L’Ouest-Eclair, citant une information de l’Evening Standard, précise même que les deux caisses de lingots auraient été retrouvées près de Greatstone, dans le comté de Kent. Information finalement démentie par les autorités…
Pendant ce temps pourtant, de l’autre côté de la Manche, un homme a déjà fait avancé l’enquête. Il se nomme Joseph Fily, il est garde-pêche à Saint-Valery-sur-Somme. À 11h45, au dessus de la baie, il a vu tomber un objet d’un biplan se dirigeant vers le large. Ni une, ni deux, le Samarien est monté sur son canot, a traversé le chenal et découvert une valise “à 300 mètres des bains de la Ferté”.
Rapportée à la gendarmerie, la malette est enfin ouverte. Le Progrès de la Somme en révèle son contenu : “un complet flanelle beige, un pyjama en zéphyr bleu, deux paires de chaussettes, trois mouchoirs portant les initiales W.H., deux cols, une paire de pantoufles, un nécessaire complet de toilettes”. Mais toujours pas d’or.
Une violente tempête au-dessus d’Abbeville
Le bagage possède une étiquette de l’hôtel de Châteaudun à Paris. Un courrier au propriétaire permet de confirmer le lien avec l’avion du capitaine John Kirton. Les caisses ne seraient donc pas au fond de la mer ! L’Anglais repart en France à la hâte. Son récit du vol peut orienter les recherches.
À bord de son De Havilland DH 84 Dragon, un avion de conception simple et légère avec un fuselage en contreplaqué, Kirton assure l’un de deux services quotidiens de la Hillman’s Airways entre Paris et Londres. Le 26 janvier, il avait décollé à 10h15 du Bourget avec à son bord 105,5 kg d’or livrés par une banque de la place de la Madeleine à Paris, à destination de la banque londonnienne Samuel Montagu. La valeur des huit lingots était estimée à 1 744 000 anciens francs. Compte tenu de l’érosion monétaire due à l’inflation, cela équivaut à près de 1 400 000 euros actuels.
Kirton raconte qu’au bout de trois quarts d’heures de vol, l’avion s’est retrouvé dans une violente tempête près d’Abbeville. L’un des passagers, M. Turtle, a d’ailleurs décrit la scène au correspondant à Londres du journal Le Jour :
“La rafale soufflait dure et nous étions, mon associé et moi, secoués depuis le départ. À plusieurs reprises, je fus projeté de mon siège, quand, soudain, on eût dit que l’avion glissait sur nous. Horrible sensation, qui ressemble à celle que l’on éprouve dans un mauvais ascenseur. Un fracas du diable se produisit et un violent courant d’air m’arriva de l’arrière, où se trouve le compartiment des bagages.”
M. Turtle avait même vu la cargaison s’envoler et avait voulu alerter le pilote. Mais ce dernier, affairé à maintenir l’appareil dans la bourrasque, lui avait demandé de se rasseoir, croyant à une panique du passager.
Les recherches se précisent dans le Vimeu
On parvient à limiter la zone de recherches à un triangle “dont le plus long côté ne dépasserait pas 5 kilomètres et dont les trois angles seraient marqués par les villages de Saint-Léger-le-Pauvre [ndlr : aujourd’hui Saint-Léger-sur-Bresle], Sénarpont et Mesnil-Eudin dans la Somme”, selon les indications du pilote de la Hillman’s Airways. Et c’est bien là, le mardi 29 janvier 1935, trois jours après le vol, que la quête de l’or va trouver son dénouement. Précisément, à Inval-Boiron.
Cet après-midi là, il fait froid dans la vallée de la Bresle. Marguerite Dion, une pailleuse de chaises âgée de 30 ans, se rend malgré tout ramasser du bois dans une propriété en bordure de la forêt d’Arguel. Bien obligée. Paul, son mari est au chômage et elle a quatre enfants à nourrir. Soudain, son regard se fixe sur des débris de caissette en bois, à peine visibles sous une couche de neige. “Se pourrait-il que ce soit les deux caisses, dont on parle dans les journaux ?”, se dit-elle. Elle part chercher son époux : “il s’agissait bien de deux caisses, mesurant 50 cm sur 20, cerclées de fer et qui étaient éventrées. Sur chaque figuraient les lettres M. L.- S. M. C. 1 et 2”, relate Le Progrès de la Somme.
Des lingots d’or dans un sol gelé
Honnêtes, les Dion préviennent les gendarmes de Oisemont, qui se rendent sur place et trouvent le premier lingot à 75 cm dans le sol. “Aussitôt, ils organisèrent un terrassement méthodique avec quelques habitants du pays”, peut-on lire dans l’Excelsior. À 20 heures, ils creusent encore à la lumière des projecteurs dans un sol gelé. Le travail est difficile, mais fructueux : six lingots sortent de terre.
Le lendemain, Paul Dion et son fils Gaston, aidés des frères Hermant, des ouvriers agricoles, retrouvent les deux derniers lingots. Il leur aura fallu bêcher jusqu’à 1,20 mètre ! L’or est rendu à ses propriétaires.
La Petite Gironde, L’Echo de Paris, Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire ou encore La Liberté et L’Action française, toute la presse se fait l’écho de la belle histoire et de la récompense annoncée par la compagnie d’assurance. Le 6 février, la promesse est tenue. À 18 heures, les Dion et les Hermant sont réunis à la mairie du village.
“Dans la petite salle de l’école communale, où le poêle dispense une appréciable chaleur”, décrit Le Progrès de la Somme, E. L. Dickins, représentant officiel du groupe Lloyds et de la London Assurance Company, leur remet les primes : Marguerite et Paul reçoivent 110 000 anciens francs (environ 88 000 euros), les frères Hersant et Gaston Dion (absent ce jour-là), 2 000 anciens francs chacun (environ 1 600 euros). Le propriétaire de la pâture, qui estimait à 100 anciens francs les dégâts causés sur sa clôture lors des recherches, n’est pas oublié : M. Dickins lui offre la belle somme de 500 anciens francs. Deux derniers billets de 1 000 anciens francs sont donnés à la commune au profit des indigents.
“Le champagne pétille dans les verres”, la joie domine et Marguerite Dion tient à rassurer M. Dickins sur le bon emploi de cette fortune nouvelle :
“Soyez sans crainte, demain je prendrai un livret de Caisse d’épargne pour chacun de mes enfants – ils sont quatre – et avec le reste on achètera une terre.”
Une récompense dilapidée
C’est sur cet espoir d’une vie meilleure que se concluent les derniers articles de presse relatant les lingots tombés du ciel dans le Vimeu. La suite sera plus tragique. Et cette suite, on la doit à Laurent Normand. Passionné d’histoire locale, il tient le blog Talmeu, consacré au Talou et au Vimeu, une zone s’étendant de Dieppe à Abbeville. C’est lui qui, le premier, a exhumé les lingots d’Inval-Boiron des archives : “Un jour, je discutais avec une dame âgée du village. Elle a commencé à me parler de cette histoire. Mais elle me disait que c’était un trésor des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. C’était faux bien sûr, ça arrive souvent. En cherchant dans les vieux journaux, j’ai retracé la vérité.
Repéré par le journal L’Eclaireur, le travail de Laurent Normand a suscité un certain engouement : “les statistiques de mon blog ont connu un pic de fréquentation ! Et les gens étaient heureux de mes recherches.” Il a même retrouvé l’une des petites-filles du couple Dion, aujourd’hui âgée de 64 ans. “Je suis allé la voir pour lui montrer les photos. Elle était très émue.”
Jointe par téléphone, Béatrice Dion, nous apprend que, contrairement à ce que sa grand-mère envisageait à l’époque, il n’y a eu ni livret de Caisse d’épargne, ni achat de terre. Mais un café à Vieux-Rouen en Seine-inférieure (Seine-Maritime depuis 1955). Et ils ont fait faillite : “mon grand-père buvait, tout l’argent passait dans l’alcool. Il a rendu Marguerite malheureuse. Mon père Gaston [ndlr : qui a reçu 2 000 anciens francs] a lui aussi dilapidé son argent dans la boisson, ma mère n’en a pas profité”.
Béatrice Dion est malgré tout heureuse que cette histoire de lingots, celle de sa famille et d’Inval-Boiron ait enfin émergé du passé : “ça m’a touché, c’était une grosse surprise !”
Source : France 3